Titre

Détresses respiratoires postopératoires

Modalités thérapeutiques en dehors de la ventilation mécanique invasive

Auteur

Pr. B. DUREUIL

Département d'Anesthésie-Réanimation
Hôpital Charles Nicolle 1, rue de Germont 76031 ROUEN Cedex

Email : Bertrand.Dureuil@chu-rouen.fr

Les modalités thérapeutiques de prise en charge d’une détresse respiratoire postopératoire dépendent des mécanismes physiopathologiques responsables de cet état. L’objectif de cette revue sera d’analyser les différents moyens qui peuvent être mis en œuvre en se fondant, dans la mesure du possible, sur des données documentées scientifiquement.

 

            Nous considérerons que cette détresse respiratoire survient suffisamment à distance de l’anesthésie pour que les effets résiduels des agents utilisés n’interviennent pas directement. Par ailleurs, les problèmes spécifiques de l’embolie pulmonaire postopératoire ne seront pas développés.

 

            De manière schématique la détresse respiratoire peut s’inscrire dans deux tableaux cliniques que nous présenterons de manière indépendante bien qu’ils soient en pratique fréquemment associés.

 

1. Détresse respiratoire se développant dans un contexte d’encombrement broncho-pulmonaire :

L’encombrement pulmonaire apparaît progressivement dans les jours qui suivent la chirurgie. Il est favorisé par le type de chirurgie (chirurgie abdominale haute ou thoracique), la présence de troubles de la vigilance, l’administration d’agents analgésiques qui diminuent le réflexe de toux (morphiniques) mais également le terrain et tout premier lieu une bronchite chronique. L’encombrement bronchique peut-être le signe d’une poussée de bronchite aiguë entraînant la décompensation pulmonaire et la fatigue des muscles de la pompe ventilatoire.

Les thérapeutiques proposées sont pratiquement superposables à celles qui sont indiquées dans la décompensation respiratoire aiguë du BPCO (1). Elles visent à limiter l’encombrement bronchique et à réduire le travail respiratoire.

 

1.1. Agents bronchodilatateurs :

Les agents bronchodilatateurs inhalés b agonistes d’action rapide et anticholinergiques ont une efficacité comparable sur la spirométrie et un effet supérieur à tous les agents bronchodilatateurs administrés par voie parentérale (méthylxanthines et sympathomimétiques). Toutefois, une réduction transitoire de la PaO2 peut être observée quelques minutes après l’inhalation de b agoniste.

 

L’association des deux types de bronchodilatateurs chez le BPCO en poussée a peut-être un effet additif mais ce point n’est pas formellement documenté. Les voies d’administration des bronchodilatateurs (nébulisation ou aérosol avec chambre de mélange) ont une efficacité équivalente chez le BPCO en poussée.

1.2. Corticothérapie :

Un traitement corticoïde de courte durée par voie systémique améliore à la fois la spirométrie et la symptomatologie du BPCO en poussée aiguë. Les doses de corticoïdes ainsi que la durée du traitement ne sont pas formellement établies.

Dans le contexte postopératoire l’introduction d’une corticothérapie doit être mise en balance avec la majoration du risque infectieux et du retard de cicatrisation. Le risque hyperglycémique est également très majoré.

1.3. Antibiothérapie :

Les données de la littérature sont concordantes pour penser qu’une antibiothérapie a un effet bénéfique sur l’évolution d’une poussée aiguë du BPCO et ce d’autant plus que la poussée est sévère. La durée du traitement n’est pas établie et varie de 3 à 12 jours.

1.4. Oxygénothérapie :

L’apport additionnel d’oxygène apporte un bénéfice considérable aux patients en poussée aiguë et hypoxémiques. L’oxygénothérapie lève la vasoconstriction pulmonaire, réduit la charge du ventricule droit, diminue l’ischémie myocardique et ainsi améliore le débit cardiaque et la délivrance en O2 au niveau cérébral.

La principale préoccupation du clinicien est de ne pas majorer l’hypercapnie. L’identification des patients à risque de décompensation respiratoire sous oxygénothérapie (24 à 28%) permet une prévention. En pratique, ce sont les patients les plus graves en terme de PaO2 et de pH initiaux qui développeront le plus fréquemment une rétention de CO2 sous oxygénothérapie.

1.5. Mélange Hélium-Oxygène (Héliox) :

L’héliox réduit le travail respiratoire et la pression positive intrinsèque de la fin d’expiration chez le BPCO en poussée en raison principalement de sa faible densité. Si une étude rétrospective récente dans un service d’Urgence rapporte un effet très favorable du pronostic des patients recevant de l’héliox, d’autres travaux sont nécessaires pour confirmer son intérêt et sa place dans la période postopératoire (2).

1.6. Modification et mobilisation des sécrétions bronchiques :

1.6.1.Expectorants – mucolytiques :

Il n’y a pas de données validant une amélioration de l’évolution de la poussée aiguë de BPCO par des agents pharmacologiques modifiant la clearance du mucus. Cependant, il est possible qu’un bénéfice soit observé en terme de symptomatologie.

La réhydratation n’a pas d’efficacité chez un patient normovolémique.

Le rôle de l’analgésie morphinique comme facteur favorisant l’encombrement bronchique postopératoire doit être souligné. Les morphiniques réduisent en effet de manière considérable le réflexe de toux.

1.6.2. Kinésithérapie et manœuvres respiratoires :

La percussion mécanique thoracique a un effet négatif rapporté en cas de poussée aiguë de BPCO. Au cours de la période postopératoire, une méta-analyse récente ne rapporte pas de bénéfice lors de l’utilisation de la spirométrie incitative pour réduire la fréquence des complications respiratoires postopératoires (3). Cependant, il n’y a pas de données concernant spécifiquement la décompensation respiratoire postopératoire et il est possible que des manœuvres comme la toux dirigée, à la condition d’un apprentissage préopératoire, permettent le désencombrement de certains patients. En cas d’échec des manœuvres externes, l’aspiration directe des sécrétions par fibroscopie bronchique doit être proposée. Cette technique qui suppose une coopération minimale du patient peut être répétée de manière régulière.

 

1.7. Ventilation non invasive (VNI) en pression positive :

La VNI en pression positive a un effet bénéfique documenté pour la prise en charge du patient BPCO en poussée. Les critères de sélection des patients ne sont pas parfaitement définis en particulier au cours de la période postopératoire. Dans ce contexte les données sont peu nombreuses mais l’expérience clinique des différentes équipes montre que la VNI peut, dans certaines situations, permettre de passer un cap.

La VNI est débutée le plus souvent par l’intermédiaire d’une prothèse naso-buccale. Les facteurs limitant sont les troubles de la conscience, la réduction de la compliance des compartiments abdominal et thoracique, la présence d’une sonde gastrique et le développement d’une pneumopathie.

La VNI en pression positive assure la mise en repos partielle des muscles de la pompe ventilatoire et a pour objectifs d’éviter une évolution vers la fatigue et la nécessité d’un recours à l’intubation de la trachée. Une étude randomisée prospective récente valide son utilisation dans le contexte particulier de la détresse respiratoire après chirurgie thoracique (4).

 

 

2. Détresse respiratoire et collapsus parenchymateux :

Au cours de la période postopératoire une part importante de la gêne respiratoire et de l’hypoxémie peut provenir du collapsus de certains territoires pulmonaires (5). Ces atélectasies postopératoires ont pu être favorisées par des conditions peropératoires (décubitus latéral, intubation accidentelle partiellement ou totalement sélective,etc…), des modifications de la mécanique respiratoire postopératoire (décubitus dorsal, dysfonction diaphragmatique, diminution de la compliance du compartiment abdominal) et enfin la présence de bouchons muqueux obstructifs.

Dans ce cas, l’objectif thérapeutique est d’obtenir la réexpansion des territoires collabés sources de shunt et d’hypoxémie.

 

2.1. Levée de l’obstacle bronchique :

La mobilisation de bouchons muqueux obstruant les bronches souches ou lobaires est possible le plus souvent par des manœuvres de kinésithérapie. En cas d’échec, la fibroscopie bronchique permet la levée de l’obstacle. Cependant, la perte de volume pulmonaire en aval de l’obstacle (atélectasie de résorption) nécessite la mise en œuvre de techniques réexpandant le parenchyme pulmonaire.

Ceci peut-être obtenu par le positionnement (décubitus latéral sur le côté opposé à celui de l’obstacle) mais également par l’application d’une pression positive continue de fin d’expiration (CPAP) (6). A notre connaissance, l’approche pharmacologique (mucolytiques, agents modifiant la cinétique du mucus) n’est pas validée.

2.2. Ré-expansion pulmonaire :

Après chirurgie majeure, la perte de volume pulmonaire est systématique avec apparition d’un syndrome pulmonaire restrictif (7). Par ailleurs, des condensations pulmonaires peuvent apparaître, tout particulièrement dans les territoires postérieurs et déclives. Ces atélectasies altèrent encore la mécanique respiratoire et majorent le shunt intra pulmonaire.

La restauration partielle des volumes pulmonaires peut-être obtenue par le positionnement des patients. Le décubitus dorsal strict doit être évité chaque fois que possible au profit de la position assise ou demi-assise. En effet, en « redressant » le patient la capacité résiduelle fonctionnelle augmente et la ventilation au niveau des bases pulmonaires est favorisée.

L’application d’une pression positive de fin d’expiration (CPAP) en cas de défaillance respiratoire postopératoire peut être proposée. Récemment, une étude prospective ouverte non comparative a montré que la CPAP avait un effet bénéfique sur l’évolution de la défaillance respiratoire postopératoire (8). La réexpansion de territoires collabés sous l’effet de recrutement de la CPAP réduit le travail respiratoire en augmentant la compliance pulmonaire et restaure l’hématose. L’adjonction d’une aide inspiratoire ou d’une pression inspiratoire positive à la CPAP n’a pas été documentée de manière spécifique dans cette indication mais paraît d’intérêt plus limité au regard de l’objectif du recrutement permis par la CPAP seule. Une stratégie ventilatoire comparable peut  être proposée dans un contexte d’œdème aigu qu’il s’agisse d’une origine cardiogénique (en association avec une déplétion hydro-sodée et/ou un traitement inotrope et vasodilatateur) ou lésionnelle (en association avec le traitement de la cause).

  

Conclusion :

Un certain nombre de mesures thérapeutiques validées le plus souvent hors du contexte opératoire, peuvent être mises en œuvre en cas de détresse respiratoire postopératoire. Elles peuvent permettre de passer un cap et d’éviter le recours à la ventilation mécanique invasive. Le choix des traitements doit découler d’une analyse sémiologique et physiopathologique de manière à ce qu’ils soient adaptés à la pathologie responsable de la décompensation. Une difficulté reste cependant de ne pas retarder inutilement l’heure de l’intubation de la trachée.

 


Références :

 1. Mc Crory, C. Brown, SE. Gelfand, PB. Bach. Management of acute exacerbations of COPD. A summary and appraisal of published evidence. Chest, 2001 ;119 :1190-1209.

2. Gerbeaux P., Gainnier M.,  Boussugues A., Rakotonirina J., Nelh P., Torro D., JM Arnal, Ph Jean. Use of heliox in patients with severe exacerbation of chronic obstructive pulmonary disease. Crit Care Med, 2001;29:2322-2324.

3. Overend TJ., Anderson CM., Lucy SD., Bhatia C., Jonsson BI., Timmermans C. The effects of incentive spirometry on postoperative pulmonary complications. Chest, 2001;120:971-978.

 4. Auriant I., Jallot A., Hervé P., Cerrina J., Le Roy Ladurie F., Lamet Fournier J., Lescot B., Parquin F. Non invasive ventilation reduces mortality in acute respiratory failure following lung resection. Am. J. Respir. Crit. Care Med., 2001,164:1231-1235.

 5. Roe PG., Jones JG. Causes of oxyhaemoglobin saturation instability in the postoperative period. Br J Anaesth 1993 ;71 :481-487.

 6. Duncan SR., Negrin RS., Mihm FG., Guilleminault C., Raffin TA. Nasal continuous positive airway pressure in atelectasis. Chest 19987 ;92 :621-624.

 7. Craig D. Postoperative recovery of pulmonary function. Anesth. Analg., 198160:46-52.

 8. Kindegen-Milles D., Buhl R., Gabriel A., Bohner H., Müller E. Nasal continuous positive airway pressure. A method to avoid endotracheal reintubation in postoperative high-risk patients with severe non hypercapnic oxygenation failure. Chest, 2000;117:1106-1111.